La peur : et si elle avait quelque chose à nous dire ?
Nous sommes le 31 octobre. La nuit tombe doucement, presque timidement, comme si elle hésitait à envelopper la ville. L’air est frais, légèrement humide, et les premières silhouettes costumées commencent à apparaître dans les rues. Pourtant, ce n’est pas leur présence qui me surprend le plus. C’est ce silence étrange, presque inhabituel, qui flotte dans l’atmosphère. Un silence qui ne rassure pas. Je marche, seul, lampe frontale allumée, décidé à ouvrir Movember par une randonnée comme je les aime : authentique, pleine de vérités qui remontent quand on s’y attend le moins.
Au détour d’un chemin, une branche craque. Pas grand-chose, juste un froissement. Mais mon cœur s’emballe immédiatement, cogne fort contre ma poitrine comme pour me rappeler qu’il est là, lui aussi, en alerte. Je sens mes épaules se contracter, mes pas devenir plus courts, plus prudents. C’est idiot, on le sait : rien ne va surgir de la forêt pour me bondir dessus. Mais mon corps, lui, ne cherche pas la logique. Il réagit. Il protège.
Et à cet instant précis, dans l’obscurité d’Halloween, je réalise à quel point cette sensation nous accompagne au quotidien, souvent sans même qu’on en ait conscience.
La peur fait partie de nous.
Elle se glisse dans chacun de nos choix, dans nos hésitations, dans nos “je verrai plus tard”, dans nos “c’est peut-être pas le bon moment”, dans nos “je n’y arriverai pas”. La peur se manifeste autant dans le craquement d’une branche la nuit que dans le simple fait d’envoyer une candidature, de dire non à quelqu’un qu’on apprécie, d’assumer un projet qui nous tient à cœur ou de se lancer dans une conversation difficile. Elle est partout. Parfois diffuse, parfois brutale, mais toujours présente.
La peur, contrairement à ce qu’on imagine, n’est pas l’ennemie. Elle est un message. Une alerte. Une tentative de nous préserver. La plupart du temps, elle ne cherche même pas à nous empêcher d’agir : elle essaie juste de nous rappeler que quelque chose, quelque part en nous, a besoin d’être entendu. Ce “quelque chose”, c’est souvent une croyance. Une petite phrase intérieure qu’on traîne depuis l’enfance, l’adolescence ou un moment de vie où on n’a pas pu faire autrement que de se protéger. Une phrase que l’on répète comme un mantra négatif : “Tu n’es pas assez bon”, “Tu vas échouer”, “Tu vas décevoir”, “On va te juger”, “Tu n’es pas prêt”.
Et plus on écoute cette voix, plus notre zone de confort devient une zone d’hibernation. On s’y sent en sécurité, oui. Mais cette sécurité finit par nous étouffer lentement. On se retrouve immobile, frustré, à contempler une vie qu’on aimerait déplacer mais que l’on ne touche pas. On sait qu’on peut mieux. On sait qu’on peut plus. Mais on reste à la lisière de soi-même, retenu par une peur qui s’est transformée en mur invisible.
Là réside le véritable enjeu. Non pas supprimer la peur – c’est impossible, et ce serait même dangereux – mais apprendre à dialoguer avec elle. Lui demander d’où elle vient. Ce qu’elle cherche à nous dire. Quelle blessure, quel souvenir, quel manque elle essaie de protéger. Quand on prend ce temps-là, un espace s’ouvre. Un espace de compréhension. Un espace où la peur n’a plus besoin de hurler parce qu’elle se sent enfin écoutée.
Et c’est dans cet espace que naît la possibilité de la dépasser.
Dépasser la peur ne signifie pas devenir invincible ou ne plus rien ressentir. Cela veut dire avancer en sa présence, mais avec un pas conscient. Cela veut dire choisir une petite action, une seule, accessible, réaliste, et lui offrir une chance. Cela peut être envoyer un message, prendre un rendez-vous, dire ce qu’on pense vraiment, franchir une porte qu’on repousse depuis des semaines ou simplement marcher, comme ce soir-là, en laissant son cœur se calmer au rythme de nos pas.
La peur recule dès que l’on avance vers elle.
Elle se transforme dès que l’on accepte de la rencontrer. Elle perd de sa puissance quand on cesse de l’affronter comme une ennemie et qu’on la considère comme une compagne de route qui, maladroitement, tente de nous protéger.
La marche de Movember du soir d’Halloween n’est pas juste une marche dans la pénombre. C’est un symbole. Un rappel que nos peurs naissent souvent dans nos zones d’ombre, mais qu’elles se dissipent lorsqu’on accepte de les éclairer. C’est une invitation à se regarder en face, à respirer plus fort, à oser interroger ce qui nous freine, pour retrouver ce mouvement intérieur qui remet la vie en circulation.
Si je marche chaque année en Movember, ce n’est pas seulement les 60 hommes qui se donnent la mort chaque heure qui passe. C’est pour offrir des espaces où chacun peut se reconnecter à ce qu’il ressent vraiment. La peur fait partie du chemin, et apprendre à marcher avec elle, c’est déjà reprendre le pouvoir sur sa vie.
Ce premier article ouvre la voie à un Movember placé sous le signe du courage. Le courage humain. Celui du quotidien. Celui qui fait trembler un peu mais avancer quand même.